Un des écueils que présentent les communications spirites
est celui des Esprits imposteurs qui peuvent induire en
erreur sur leur identité, et qui, à l'abri d'un nom
respectable, cherchent à faire passer les plus grossières
absurdités. Nous nous sommes, en maintes occasions,
expliqués sur ce danger, qui cesse d'en être un pour
quiconque scrute à la fois la forme et le fond du langage
des êtres invisibles avec lesquels il est en communication.
Nous ne pouvons répéter ici ce que nous avons dit à ce
sujet ; qu'on veuille bien le lire attentivement dans cette
Revue, dans le Livre des Esprits et dans notre Instruction
pratique[1],
et l'on verra que rien n'est plus facile que de se prémunir
contre de pareilles fraudes, pour peu qu'on y mette de bonne
volonté. Nous reproduisons seulement la comparaison suivante
que nous avons citée quelque part : « Supposez que dans une
chambre voisine de celle où vous êtes soient plusieurs
individus que vous ne connaissez pas, que vous ne pouvez
voir, mais que vous entendez parfaitement ; ne serait-il pas
facile de reconnaître à leur conversation si ce sont des
ignorants ou des savants, d'honnêtes gens ou des
malfaiteurs, des hommes sérieux ou des étourdis ; des gens
de bonne compagnie ou des rustres ?
Prenons une autre comparaison sans sortir de notre humanité
matérielle : supposons qu'un homme se présente à vous sous
le nom d'un littérateur distingué ; à ce nom, vous le
recevez d'abord avec tous les égards dus à son mérite
supposé ; mais, s'il s'exprime comme un crocheteur, vous
reconnaîtrez tout de suite le bout de l'oreille, et le
mettrez à la porte comme un imposteur.
Il en est de même des Esprits : on les reconnaît à leur
langage ; celui des Esprits supérieurs est toujours digne et
en harmonie avec la sublimité des pensées ; jamais la
trivialité n'en souille la pureté. La grossièreté et la
bassesse des expressions n'appartiennent qu'aux Esprits
inférieurs. Toutes les qualités et toutes les imperfections
des Esprits se révèlent par leur langage, et on peut, avec
raison, leur appliquer cet adage d'un écrivain célèbre :
Le style, c'est l'homme.
Ces réflexions nous sont suggérées par un article que nous
trouvons dans le Spiritualiste de la Nouvelle-Orléans
du mois de décembre 1857. C'est une conversation qui s'est
établie par l'entremise d'un médium, entre deux Esprits,
l'un se donnant le nom de père Ambroise, l'autre celui de
Clément XIV. Le père Ambroise était un respectable
ecclésiastique, mort à la Louisiane dans le siècle dernier ;
c'était un homme de bien, d'une haute intelligence, et qui a
laissé une mémoire vénérée.
Dans ce dialogue, où le ridicule le dispute à l'ignoble, il
est impossible de se méprendre sur la qualité des
interlocuteurs, et il faut convenir que les Esprits qui
l'ont tenu ont pris bien peu de précautions pour se
déguiser ; car, quel est l'homme de bon sens qui pourrait un
seul instant supposer que le P. Ambroise et Clément XIV
aient pu s'abaisser à de telles trivialités, qui ressemblent
à une parade de tréteaux ? Des comédiens du plus bas étage,
qui parodieraient ces deux personnages, ne s'exprimeraient
pas autrement.
Nous sommes persuadés que le cercle de la Nouvelle-Orléans,
où le fait s'est passé, l'a compris comme nous ; en douter
serait lui faire injure ; nous regrettons seulement qu'en le
publiant on ne l'ait pas fait suivre de quelques
observations correctives, qui eussent empêché les gens
superficiels de le prendre pour un échantillon du style
sérieux d'outre-tombe. Mais hâtons-nous de dire que ce
cercle n'a pas que des communications de ce genre : il en a
d'un tout autre ordre, où l'on retrouve toute la sublimité
de la pensée et de l'expression des Esprits supérieurs.
Nous avons pensé que l'évocation du véritable et du faux P.
Ambroise pourrait offrir un utile sujet d'observation sur
les Esprits imposteurs ; c'est en effet ce qui a eu lieu,
ainsi qu'on en peut juger par l'entretien suivant :
1. Je prie Dieu tout-puissant de permettre à l'Esprit du
véritable P. Ambroise mort à la Louisiane le siècle dernier,
et qui y a laissé une mémoire vénérée, de se communiquer à
nous. - R. Je suis là.
2. Veuillez nous dire si c'est vous réellement qui avez eu,
avec Clément XIV, l'entretien rapporté dans le
Spiritualiste de la Nouvelle-Orléans, et dont nous avons
donné lecture dans notre dernière séance ? - R. Je plains
les hommes qui étaient dupes des Esprits, que je plains
également.
3. Quel est l'Esprit qui a pris votre nom ? - R. Un Esprit
bateleur.
4. Et l'interlocuteur, était-il réellement Clément XIV ? -
R. C'était un Esprit sympathique à celui qui avait pris mon
nom.
5. Comment avez-vous pu laisser débiter de pareilles choses
sous votre nom, et pourquoi n'êtes-vous pas venu démasquer
les imposteurs ? - R. Parce que je ne puis pas toujours
empêcher les hommes et les Esprits de se divertir.
6. Nous concevons cela pour les Esprits ; mais quant aux
personnes qui ont recueilli ces paroles, ce sont des
personnes graves et qui ne cherchaient point à se divertir ?
- R. Raison de plus : elles devaient bien penser que de
telles paroles ne pouvaient être que le langage d'Esprits
moqueurs.
7. Pourquoi les Esprits n'enseignent-ils pas à la
Nouvelle-Orléans des principes de tout point identiques à
ceux qu'ils enseignent ici ? - R. La doctrine qui vous est
dictée leur servira bientôt ; il n'y en aura qu'une.
8. Puisque cette doctrine doit y être enseignée plus tard,
il nous semble que, si elle l'eût été immédiatement, cela
aurait hâté le progrès et évité, dans la pensée de
quelques-uns, une incertitude fâcheuse ? - R. Les voies de
Dieu sont souvent impénétrables ; n'y a-t-il pas d'autres
choses qui vous paraissent incompréhensibles dans les moyens
qu'il emploie pour arriver à ses fins ? Il faut que
l'homme s'exerce à distinguer le vrai du faux, mais tous
ne pourraient recevoir la lumière subitement sans en être
éblouis.
9. Veuillez, je vous prie, nous dire votre opinion
personnelle sur la réincarnation. - R. Les Esprits sont
créés ignorants et imparfaits : une seule incarnation ne
peut leur suffire pour tout apprendre ; il faut bien qu'ils
se réincarnent, pour profiter des bontés que Dieu leur
destine.
10. La réincarnation peut-elle avoir lieu sur la terre, ou
seulement dans d'autres globes ? - R. La réincarnation se
fait selon le progrès de l'Esprit, dans des mondes plus ou
moins parfaits.
11. Cela ne nous dit pas clairement si elle peut avoir lieu
sur la terre. - R. Oui, elle peut avoir lieu sur la terre ;
et si l'Esprit le demande comme mission, cela doit être plus
méritoire pour lui que de demander d'avancer plus vite dans
des mondes plus parfaits.
12. Nous prions Dieu tout-puissant de permettre à l'Esprit
qui a pris le nom du P. Ambroise de se communiquer à nous. -
R. Je suis là ; mais vous ne voulez pas me confondre.
13. Es-tu véritablement le P. Ambroise ? Au nom de Dieu, je
te somme de dire la vérité. - R. Non.
14. Que penses-tu de ce que tu as dit sous son nom ? - R. Je
pense comme pensaient ceux qui m'écoutaient.
15. Pourquoi t'es-tu servi d'un nom respectable pour dire de
pareilles sottises ? - R. Les noms, à nos yeux, ne sont
rien : les oeuvres sont tout ; comme on pouvait voir ce
que j'étais à ce que je disais, je n'ai pas attaché de
conséquence à l'emprunt de ce nom.
16. Pourquoi, en notre présence, ne soutiens-tu pas ton
imposture ? - R. Parce que mon langage est une pierre de
touche à laquelle vous ne pouvez vous tromper.
Remarque.
- Il nous a été dit plusieurs fois que l'imposture de
certains Esprits est une épreuve pour notre jugement ; c'est
une sorte de tentation que Dieu permet, afin que,
comme l'a dit le P. Ambroise, l'homme puisse s'exercer à
distinguer le vrai du faux.
17. Et ton camarade Clément XIV, qu'en penses-tu ? - R. Il
ne vaut pas mieux que moi ; nous avons tous les deux besoin
d'indulgence.
18. Au nom de Dieu tout-puissant, je le prie de venir. - R.
J'y suis depuis que le faux P. Ambroise y est.
19. Pourquoi as-tu abusé de la crédulité de personnes
respectables pour donner une fausse idée de la doctrine
spirite ? - R. Pourquoi est-on enclin aux fautes ? c'est
parce qu'on n'est pas parfait.
20. Ne pensiez-vous pas tous les deux qu'un jour votre
fourberie serait reconnue, et que les véritables P. Ambroise
et Clément XIV ne pouvaient s'exprimer comme vous l'avez
fait ? - R. Les fourberies étaient déjà reconnues et
châtiées par celui qui nous a créés.
21. Etes-vous de la même classe que les Esprits que nous
appelons frappeurs ? - R. Non, car il faut encore du
raisonnement pour faire ce que nous avons fait à la
Nouvelle-Orléans.
22. (Au véritable P. Ambroise.) Ces Esprits imposteurs vous
voient-ils ici ? - R. Oui, et ils souffrent de ma vue.
23. Ces Esprits sont-ils errants ou réincarnés ? - R.
Errants ; ils ne sont pas assez parfaits pour se dégager
s'ils étaient incarnés.
24. Et vous, P. Ambroise, dans quel état êtes-vous ? - R.
Incarné dans un monde heureux et innommé par vous.
25. Nous vous remercions des éclaircissements que vous avez
bien voulu nous donner ; serez-vous assez bon pour venir
d'autres fois parmi nous, nous dire quelques bonnes paroles
et nous donner une dictée qui puisse montrer la différence
de votre style avec celui qui avait pris votre nom ? - R. Je
suis avec ceux qui veulent le bien dans la vérité.
[1]Ouvrage épuisé, remplacé
par le Livredes médiums.