
Dans notre dernier numéro nous avons présenté le tableau de
la vie Spirite comme ensemble ; nous avons suivi les Esprits
depuis l'instant où ils quittent leur corps terrestre, et
nous avons rapidement esquissé leurs occupations. Nous nous
proposons aujourd'hui de les montrer en action, en
réunissant dans un même cadre diverses scènes intimes dont
nos communications nous ont rendus témoins. Déjà, les
nombreux entretiens familiers d'outre-tombe publiés dans
cette revue ont pu donner une idée de la situation des
Esprits selon le degré de leur avancement, mais ici il y a
un caractère spécial d'activité qui nous fait mieux
connaître encore le rôle qu'ils jouent parmi nous à notre
insu. Le sujet d'étude dont nous allons rapporter les
péripéties s'est offert spontanément ; il présente d'autant
plus d'intérêt qu'il a pour héros principal, non un de ces
Esprits supérieurs qui habitent des mondes inconnus, mais un
de ceux qui, par leur nature même, sont encore attachés à
notre terre, un contemporain qui nous a donné des preuves
manifestes de son identité. C'est parmi nous que l'action se
passe, et chacun de nous y joue son rôle.
Cette étude des moeurs spirites a, en outre, cela de
particulier, qu'elle nous montre la progression des Esprits
à l'état errant, et comment nous pouvons concourir à leur
éducation.
Un de nos amis qui, après de longs essais infructueux, mais
dont sa patience a triomphé, est tout à coup devenu
excellent médium écrivain, et de plus médium auditif, était
occupé à écrire, avec un autre médium de ses amis, lorsque,
à une question adressée à un Esprit, il obtint une réponse
assez bizarre et peu sérieuse dans laquelle il ne
reconnaissait pas le caractère de l'Esprit évoqué. Ayant
interpellé l'auteur de cette réponse, et après l'avoir sommé
au nom de Dieu de se faire connaître, ce dernier signa
Pierre Le Flamand, nom parfaitement inconnu du médium.
C'est alors que s'établit entre eux, et plus tard entre cet
Esprit et nous, une série d'entretiens que nous allons
rapporter :
1. Qui es-tu ? Je ne connais personne de ce nom. - R. Un de
tes anciens camarades de collège.
2. Je n'en ai aucun souvenir. - R. Te rappelles-tu avoir une
fois été rossé ?
3. C'est possible ; entre écoliers cela arrive quelquefois.
Je me souviens en effet de quelque chose comme cela, mais je
me souviens aussi de lui avoir rendu la monnaie de sa pièce.
- R. C'était moi ; je ne t'en veux pas.
4. Merci ; autant que je me le rappelle, tu étais un assez
mauvais garnement. - R. Voilà la mémoire qui te revient ; je
n'ai pas changé tant que j'ai vécu. J'étais mauvaise tête,
mais pas méchant dans le fond ; je me battais avec le
premier venu ; c'était comme un besoin chez moi ; puis, le
dos tourné, je n'y pensais plus.
5. Quand et à quel âge es-tu mort ? - R. Il y a quinze ans ;
j'avais vingt ans à peu près.
6. De quoi es-tu mort ? - R. Une étourderie de jeune
homme..., une suite de ma mauvaise tête....
7. As-tu encore ta famille ? - R. J'avais perdu depuis
longtemps mon père et ma mère ; j'habitais chez un oncle,
mon seul parent... ; si tu vas à Cambrai je t'engage à aller
le voir... ; c'est un bien brave homme que j'aime beaucoup
quoiqu'il m'ait assez durement mené ; mais je le méritais.
8. S'appelle-t-il comme toi ? - R. Non ; il n'y a plus
personne à Cambrai de mon nom ; il s'appelle W... ; il
demeure rue... n... ; tu verras que c'est bien moi qui te
parle.
Remarque.
- Le fait a été vérifié par le médium lui-même dans un
voyage qu'il fit quelque temps après. Il trouva M. W... à
l'adresse indiquée ; celui-ci lui dit qu'en effet il avait
eu un neveu de ce nom, un franc étourdi assez mauvais sujet,
mort en 1844, peu de temps après avoir tiré à la
conscription. Cette circonstance n'avait pas été indiquée
par l'Esprit ; il l'a fait plus tard spontanément ; on verra
à quelle occasion.
9. Par quel hasard es-tu venu chez moi ? - R. Le hasard si
tu veux ; mais moi je crois plutôt que c'est mon bon génie
qui m'a poussé vers toi, car j'ai l'idée que nous gagnerons
tous les deux à renouveler connaissance... J'étais ici à
côté, chez ton voisin, occupé à considérer des tableaux...,
pas des tableaux d'église... ; tout à coup je t'ai aperçu et
je suis venu. Je t'ai vu occupé à causer avec un autre
Esprit, j'ai voulu me mêler de la conversation.
10. Mais pourquoi as-tu répondu aux questions que je faisais
à un autre Esprit ? Ceci n'est pas d'un bon camarade. - R.
J'étais en présence d'un Esprit sérieux qui ne me paraissait
pas disposé à répondre ; en répondant pour lui je croyais
lui faire la langue, mais cela n'a pas réussi ; je voulais,
en ne disant pas la vérité, le faire parler.
11. Ceci est très mal, car il aurait pu en résulter des
choses fâcheuses si je ne me fusse pas aperçu de la
supercherie. - R. Tu l'aurais toujours su, un peu plus tôt,
un peu plus tard.
12. Dis-moi un peu comment tu es entré ici ? - R. Belle
question ! Est-ce que nous avons besoin de demander le
cordon ?
13. Tu peux donc aller partout, entrer partout ? - R.
Mais !... sans dire gare ! encore... Nous ne sommes pas
Esprits pour rien.
14. Je croyais cependant que certains Esprits n'avaient pas
le pouvoir de pénétrer dans toutes les réunions ? - R.
Est-ce que, par hasard, tu crois que ta chambre est un
sanctuaire, et que je suis indigne d'y pénétrer ?
15. Réponds sérieusement à ma question, et pas de mauvaises
plaisanteries, je t'en prie ; tu vois que je ne suis pas
d'humeur à les supporter, et que les Esprits mystificateurs
sont mal reçus chez moi. - R. Il y a des réunions d'Esprits
où nous autres vauriens ne pouvons pénétrer, c'est vrai ;
mais ce sont les Esprits supérieurs qui nous en empêchent,
et non pas vous autres hommes ; d'ailleurs, quand nous
allons quelque part nous savons bien nous taire et nous
tenir à l'écart quand il le faut ; nous écoutons, et si cela
nous ennuie nous nous en allons... Ah çà ! tu n'as pas l'air
enchanté de ma visite.
16. C'est que je ne reçois pas volontiers le premier venu,
et franchement je te sais mauvais gré d'être venu troubler
un entretien sérieux. - R. Ne te fâche pas..., je ne t'en
veux pas..., je suis toujours bon garçon... ; une autre fois
je me ferai annoncer.
17. Voilà quinze ans que tu es mort... - R. Entendons-nous ;
c'est mon corps qui est mort ; mais moi, qui te
parle, je ne suis pas mort.
Remarque.
On trouve souvent chez les Esprits, même légers et
facétieux, des mots d'une grande profondeur. Ce MOI qui
n'est pas mort est tout à fait philosophique.
18. C'est bien comme cela que je l'entends. A ce sujet,
dis-moi si, tel que tu es maintenant, tu me vois avec autant
de netteté que si tu avais ton corps ? - R. Je te vois
encore bien mieux ; j'étais myope ; c'est pour cela que j'ai
voulu me faire exempter de la conscription.
19. Voilà, dis-je, quinze ans que tu es mort, et tu me
parais tout aussi étourdi qu'auparavant ; tu n'as donc pas
avancé ? - R. Je suis ce que j'étais, ni mieux, ni pis.
20. A quoi passes-tu ton temps ? - R. Je n'ai pas d'autres
occupations que de me divertir ou de me renseigner sur les
événements qui peuvent influencer ma destinée. Je vois
beaucoup ; je passe une partie de mon temps, tantôt chez des
amis, tantôt au spectacle... Je surprends quelquefois de
drôles de choses... Si l'on savait que l'on a des témoins
quand on croit être seul !... Enfin je fais en sorte que mon
temps me soit à charge le moins possible... Dire combien
cela durera, je n'en sais rien, et cependant je cours ainsi
depuis un certain temps... As-tu assez d'explications comme
cela ?
21. En somme, es-tu plus heureux que de ton vivant ? - R.
Non.
22. Qu'est-ce qui te manque ? Tu n'as plus besoin de rien ;
tu ne souffres plus ; tu ne crains pas d'être ruiné ; tu vas
partout, tu vois tout ; tu ne redoutes ni les soucis, ni les
maladies, ni les infirmités de la vieillesse ; n'est-ce pas
là une existence heureuse ? - R. Il me manque la réalité des
jouissances ; je ne suis pas assez avancé pour jouir d'un
bonheur moral ; j'envie tout ce que je vois, et c'est ce qui
me torture ; je m'ennuie et je tâche de tuer le temps comme
je peux !... il est bien long le temps !... j'éprouve un
malaise que je ne puis définir... ; j'aimerais mieux
souffrir les misères de la vie que cette anxiété qui
m'accable.
Remarque.
N'est-ce pas là un éloquent tableau des souffrances morales
des Esprits inférieurs ? Envier tout ce que l'on voit ;
avoir les mêmes désirs et ne jouir de rien en réalité, ce
doit être une véritable torture.
23. Tu as dis que tu allais voir tes amis ; n'est-ce pas une
distraction ? - R. Mes amis ne savent pas que je suis là, et
d'ailleurs ils ne pensent plus à moi ; cela me fait mal.
24. N'en as-tu pas parmi les Esprits ? - R. Des étourdis,
des vauriens comme moi, qui s'ennuient comme moi ; leur
société n'est pas très amusante ; ceux qui sont heureux et
raisonnables s'éloignent de moi.
25. Pauvre garçon ! je te plains, et si je pouvais t'être
utile, je le ferais avec plaisir. - R. Si tu savais ce que
cette parole me fait de bien ! c'est la première fois que je
l'entends.
26. Ne pourrais-tu te procurer les occasions de voir et
d'entendre des choses bonnes et utiles qui serviraient à ton
avancement ? - R. Oui, mais il faudrait pour cela que je
sache profiter de ces leçons ; j'avoue que de préférence
j'aime à assister à des scènes d'amour et de débauche qui
n'ont pas influencé mon esprit dans le bien. Avant d'entrer
chez toi, j'étais là, à considérer des tableaux qui
réveillaient en moi certaines idées..., mais brisons là...
J'ai su cependant résister à demander à me réincarner pour
jouir des plaisirs dont j'ai tant abusé ; maintenant je vois
combien j'aurais eu tort. En venant chez toi, je sens que je
fais bien.
27. Eh bien ! à l'avenir, j'espère que tu me feras le
plaisir, si tu tiens à mon amitié, de ne plus arrêter ton
attention sur les tableaux qui peuvent te donner de
mauvaises idées, et que tu penseras au contraire à ce que tu
pourras entendre ici de bon et d'utile pour toi. Tu t'en
trouveras bien ; crois-moi. - R. Si c'est ton idée ce sera
la mienne.
28. Quand tu vas au théâtre éprouves-tu les mêmes émotions
que lorsque tu y allais de ton vivant ? - R. Plusieurs
émotions différentes ; celles-là d'abord ; puis je me mêle
quelquefois à des conversations..., j'entends de singulières
choses.
29. Quel est ton théâtre de prédilection ? - R. Les
Variétés ; mais il m'arrive souvent d'aller les voir tous
dans la même soirée. Je vais aussi dans les bals, dans les
réunions où l'on s'amuse.
30. De façon que, tout en t'amusant, tu peux t'instruire,
car tu dois pouvoir observer beaucoup dans ta position ? -
R. Oui, mais ce que j'aime bien, ce sont certains
colloques ; il est vraiment curieux de voir les manèges de
certains individus, surtout de ceux qui veulent se faire
croire encore jeunes. Dans tous ces bavardages personne ne
dit la vérité : le coeur se farde comme le visage et c'est à
n'y rien comprendre. J'ai fait une étude de moeurs
là-dessus.
31. Eh bien ! ne vois-tu pas que nous pourrions avoir
ensemble de bonnes petites causeries comme celle-ci dont
nous pourrons l'un et l'autre tirer bon profit ? - R.
Toujours ; comme tu le dis, pour toi d'abord et pour moi
ensuite. Tu as des occupations que nécessite ton corps ; moi
je puis faire toutes les démarches possibles pour
m'instruire sans nuire à mon existence.
32. Puisqu'il en est ainsi, tu continueras tes observations,
ou, comme tu le dis, tes études de moeurs ; jusqu'à présent
tu n'en as guère profité ; il faut qu'elles servent à
t'éclairer, et pour cela il faut que tu les fasses dans un
but sérieux et non pour t'amuser et tuer le temps. Tu me
diras ce que tu as vu ; nous en raisonnerons, et nous en
tirerons des conséquences pour notre instruction mutuelle. -
R. Ce sera même très attrayant ; oui, certainement, je suis
à ton service.
33. Ce n'est pas tout ; je voudrais te procurer l'occasion
de faire une bonne action ; le veux-tu ? - R. De grand
coeur ! Il sera donc dit que je pourrai être bon à quelque
chose. Dis-moi tout de suite ce qu'il faut que je fasse.
34. Doucement ! Je ne confie pas ainsi des missions
délicates à ceux dont je ne suis pas parfaitement sûr. Tu as
de la bonne volonté, je n'en doute pas ; mais auras-tu la
persévérance nécessaire ? c'est une question. Il faut donc
que j'apprenne à te mieux connaître, pour savoir ce dont tu
es capable et jusqu'à quel point je peux compter sur toi.
Nous en causerons une autre fois. - R. Tu le verras.
35. Adieu donc pour aujourd'hui. - R. Au revoir.
36. Eh bien ! mon cher Pierre, as-tu réfléchi sérieusement à
ce que nous avons dit l'autre jour ? - R. Plus sérieusement
que tu ne crois, car j'ai à coeur de te prouver que je vaux
mieux que je n'en ai l'air. Je me sens plus à mon aise
depuis que j'ai quelque chose à faire ; j'ai un but
maintenant, et je ne m'ennuie plus.
37. J'ai parlé de toi à M. Allan Kardec ; je lui ai
communiqué notre entretien, et il en a été très content ; il
désire entrer en rapport avec toi. - R. Je le sais, je suis
allé chez lui.
38. Qui t'y a conduit ? - R. Ta pensée. Je suis revenu ici
depuis l'autre jour ; j'ai vu que tu voulais lui parler de
moi, et je me suis dit : Allons-y le premier, j'y trouverai
probablement quelque sujet d'observation et peut-être
l'occasion d'être utile.
39. J'aime à te voir ces pensées sérieuses. Quelle
impression as-tu reçue de ta visite ? - R. Oh ! une bien
grande ; j'y ai appris des choses dont je ne me doutais pas
et qui m'ont éclairé sur mon avenir. C'est comme une lumière
qui s'est faite en moi ; je comprends maintenant tout ce que
j'ai à gagner à me perfectionner..., il le faut..., il le
faut.
40. Puis-je, sans indiscrétion, te demander ce que tu as vu
chez lui ? - R. Assurément, chez lui comme chez d'autres,
d'autant plus que je ne dirai toujours que ce que je
voudrai... ou ce que je pourrai.
41. Comment entends-tu cela ? Est-ce que tu ne peux pas dire
tout ce que tu veux ? - R. Non ; depuis quelques jours je
vois un Esprit qui semble me suivre partout, qui me pousse
ou me retient ; on dirait qu'il me dirige ; je sens une
impulsion dont je ne me rends pas compte, et à laquelle
j'obéis malgré moi ; si je veux dire ou faire quelque chose
de déplacé, il se pose devant moi..., me regarde..., et je
me tais..., je m'arrête.
42. Quel est cet Esprit ? - R. Je n'en sais rien ; mais il
me domine.
43. Pourquoi ne le lui demandes-tu pas ? - R. Je n'ose pas ;
quand je veux lui parler, il me regarde, et ma langue est
clouée.
Remarque.
Il est évident que le mot langue est ici une figure,
puisque les Esprits n'ont pas de langage articulé.
44. Tu dois voir s'il est bon ou mauvais ? - R. Il doit être
bon, puisqu'il m'empêche de dire des bêtises ; mais il est
sévère... Il a quelquefois l'air courroucé, et d'autres fois
il semble me regarder avec tendresse... Il m'est venu dans
la pensée que ce pourrait bien être l'Esprit de mon père qui
ne veut pas se faire connaître.
45. Cela me paraît probable ; il ne doit pas être fort
content de toi. Ecoute-moi bien ; je vais te donner un avis
à ce sujet. Nous savons que les parents ont pour mission
d'élever leurs enfants et de les diriger dans la voie du
bien ; ils sont en conséquence responsables du bien et du
mal que font ces derniers d'après l'éducation qu'ils ont
reçue, et ils en souffrent ou en sont heureux dans le monde
des Esprits. La conduite des enfants influe donc jusqu'à un
certain point sur le bonheur ou le malheur de leurs parents
après la mort. Comme ta conduite sur la terre n'a pas été
très édifiante, et que depuis que tu es mort tu n'as pas
fait grand chose de bon, ton père doit en souffrir s'il a à
se reprocher de ne t'avoir pas bien dirigé... - R. Si je ne
suis pas devenu bon sujet, ce n'est pas faute d'avoir été
plus d'une fois corrigé d'importance.
46. Ce n'était peut-être pas le meilleur moyen de te
ramener ; quoi qu'il en soit, son affection pour toi est
toujours la même, et il te le prouve en se rapprochant de
toi, si c'est lui, comme je le présume ; il doit être
heureux de ton changement, c'est ce qui explique ses
alternatives de tendresse et de courroux ; il veut t'aider
dans la bonne voie dans laquelle tu viens d'entrer, et
lorsqu'il t'y verra solidement engagé, je suis persuadé
qu'il se fera connaître. Ainsi, en travaillant à ton propre
bonheur, tu travailleras au sien. Je ne serais même pas
étonné que ce fût lui qui t'ait poussé à venir chez moi.
S'il ne l'a pas fait plus tôt, c'est qu'il a voulu te
laisser le temps de comprendre le vide de ton existence
désoeuvrée et d'en ressentir les désagréments. - R. Merci !
merci... ! Il est là derrière toi... Il pose sa main sur ta
tête, comme s'il te dictait les paroles que tu viens de
dire.
47. Revenons à M. Allan Kardec. - R. Je suis allé chez lui
avant-hier soir ; il était occupé à écrire dans son
cabinet..., il travaillait à un nouvel ouvrage qu'il
prépare... Ah ! il nous arrange bien, nous autres pauvres
Esprits ; si l'on ne nous connaît pas ce ne sera pas sa
faute.
48. Etait-il seul ? - R. Seul, oui, c'est-à-dire qu'il n'y
avait personne avec lui ; mais il y avait autour de lui une
vingtaine d'Esprits qui bourdonnaient au-dessus de sa tête.
49. Les entendait-il ? - R. Il les entendait si bien qu'il
regardait de tous côtés d'où venait ce bruit, pour voir si
ce n'étaient pas des milliers de mouches ; puis il a ouvert
sa fenêtre pour regarder si c'était le vent ou la pluie.
Remarque.
Le fait était parfaitement exact.
50. Parmi tous ces Esprits en as-tu reconnu ? - R. Non ; ce
ne sont pas ceux dont je faisais ma société ; j'avais l'air
d'un intrus et je me suis mis dans un coin pour observer.
51. Ces Esprits paraissaient-ils s'intéresser à ce qu'il
écrivait ? - R. Je le crois bien ! Il y en avait deux ou
trois surtout qui lui soufflaient ce qu'il écrivait et qui
avaient l'air de prendre l'avis des autres ; lui, il croyait
tout bonnement que les idées étaient de lui, et il en
paraissait content.
52. Est-ce tout ce que tu as vu ? - R. Il est ensuite arrivé
huit ou dix personnes qui se sont réunies dans une autre
chambre avec Kardec ; on s'est mis à causer ; on le
questionnait ; il répondait, il expliquait.
53. Connais-tu les personnes qui étaient là ? - R. Non ; je
sais seulement qu'il y avait de grands personnages, car à
l'un d'eux on disait toujours : Prince, et à un autre, M. le
Duc. Les Esprits sont aussi arrivés en masse ; il y en avait
au moins une centaine, dont plusieurs avaient sur la tête
comme des couronnes de feu ; les autres se tenaient à
l'écart et écoutaient.
54. Et toi, que faisais-tu ? - R. J'écoutais aussi, mais
j'observais surtout ; alors il m'est venu dans l'idée de
faire une démarche très utile pour Kardec ; je te dirai plus
tard ce que c'était quand j'aurai réussi. J'ai donc quitté
l'assemblée, et tout en cheminant dans les rues, je
m'amusais à flâner devant les boutiques, à me mêler dans les
groupes.
55. De sorte qu'au lieu d'aller à tes affaires, tu perdais
ton temps. - R. Je ne l'ai pas perdu, puisque j'ai empêché
un vol.
56. Ah ! tu te mêles aussi de faire la police ? - R.
Pourquoi pas ? En passant devant une boutique fermée, je
remarque qu'il se passe en dedans quelque chose de
singulier ; j'entre ; je vois un jeune homme très agité et
qui allait, venait et avait l'air d'en vouloir à la caisse
du marchand. Il y avait avec lui deux Esprits, l'un qui lui
soufflait à l'oreille : Va donc, poltron ! le tiroir est
plein ; tu pourras t'amuser à ton aise, etc. ; l'autre avait
une figure de femme, belle et pleine de noblesse, quelque
chose de céleste et de bon dans le regard ; il lui disait :
Va-t'en ! va-t'en ! ne te laisse pas tenter ; et il lui
soufflait les mots : prison, déshonneur.
Le jeune homme hésitait. Au moment où il s'approche du
comptoir, je me mets devant lui pour l'arrêter. Le mauvais
Esprit me demande de quoi je me mêle. Je veux, lui dis-je
empêcher ce jeune homme de commettre une mauvaise action, et
peut-être d'aller aux galères. Alors le bon Esprit
s'approche de moi et me dit : Il faut qu'il subisse la
tentation ; c'est une épreuve ; s'il succombe, ce sera sa
faute. Mon voleur allait triompher, lorsque son mauvais
génie emploie une ruse abominable qui réussit ; il lui fait
remarquer, sur une tablette, une bouteille : c'était de
l'eau-de-vie ; il lui inspire l'idée d'en boire pour se
donner du courage. Le malheureux est perdu, me dis-je...,
tâchons au mois de sauver quelque chose. Je n'avais plus
qu'une ressource, c'était d'avertir le patron... tôt ! me
voilà chez lui au cinquième. Il était en train de faire une
partie de cartes avec sa femme il fallait trouver le moyen
de le faire descendre.
57. S'il avait été médium tu lui aurais fait écrire qu'on le
volait. Croyait-il du moins aux Esprits ? - R. Il n'avait
pas assez d'esprit pour savoir seulement ce que c'est.
58. Je ne te connaissais pas le talent de faire des jeux de
mots. - R. Si tu m'interromps, je ne dis plus rien. Je lui
donne un violent éternuement ; il veut prendre du tabac, et
il s'aperçoit qu'il a oublié sa tabatière dans la boutique.
Il appelle son petit garçon qui dormait dans un coin et lui
dit d'aller la lui chercher..., ce n'était pas mon
affaire... ; l'enfant se réveille en grognant... Je souffle
à la mère de dire : Ne réveille donc pas cet enfant ; tu
peux bien y aller toi-même. - Il se décide enfin..., je le
suis, pour le faire aller plus vite. Arrivé à la porte il
aperçoit de la lumière dans la boutique et entend du bruit.
Voilà la peur qui le prend, les jambes lui tremblent ; je le
pousse pour le faire avancer ; s'il était entré subitement,
il prenait son voleur comme dans une trappe ; au lieu de
cela, ce gros imbécile se met à crier : au voleur ! le
voleur se sauve, mais dans sa précipitation, et troublé
qu'il était par l'eau-de-vie, il oublie de ramasser sa
casquette. Le marchand entre quand il n'y a plus
personne... ; ce que fera la casquette, ce n'est pas mon
affaire... : celui-là n'est pas dans de beaux draps. Grâce à
moi , le vol n'a pas eu le temps de s'accomplir, et le
marchand en a été quitte pour la peur ; ce qui ne l'a pas
empêché de dire en remontant chez lui qu'il a terrassé un
homme de six pieds. - Voyez un peu, dit-il, à quoi tiennent
les choses ! si je n'avais pas eu l'idée de prendre du
tabac !... - Si je ne t'avais pas empêché d'envoyer notre
garçon ! dit la femme... - Il faut convenir que nous avons
eu bon nez tous les deux ! - Ce que c'est que le hasard !
Voilà, mon cher, comment on nous remercie.
59. Tu es un brave garçon, mon cher Pierre, et je te
félicite. Ne te décourage pas de l'ingratitude des hommes ;
tu en trouveras bien d'autres, maintenant que tu te mets à
leur rendre service, même parmi ceux qui croient à
l'intervention des esprits. - R. Oui, et je sais que les
ingrats se préparent de cruels retours.
60. Je vois maintenant que je puis compter sur toi, et que
tu deviens vraiment sérieux. - R. Tu verras plus tard que ce
sera moi qui te ferai de la morale.
61. J'en ai besoin tout comme un autre, et je reçois
volontiers les bons conseils de quelque part qu'ils
viennent. Je t'ai dit que je voulais te faire faire une
bonne action ; es-tu disposé ? - R. Peux-tu en douter ?
62. J'ai un de mes amis qui est menacé, je crois, de grandes
déceptions s'il continue à suivre la mauvaise voie dans
laquelle il est engagé ; les illusions qu'il se fait peuvent
le perdre. Je voudrais que tu essayasses de le ramener dans
la bonne route par quelque chose qui pût l'impressionner
vivement ; comprends-tu ma pensée ? - R. Oui ; tu voudrais
que je lui fisse quelque bonne manifestation ; une
apparition, par exemple ; mais cela n'est pas en mon
pouvoir. Je puis cependant quelquefois, lorsque j'en ai la
permission, donner des preuves sensibles de ma présence ; tu
le sais.
Remarque.
Le médium auquel cet Esprit semble s'être attaché est averti
de sa présence par une impression très sensible, alors même
qu'il ne songe pas à l'appeler. Il le reconnaît à une sorte
de frôlement qu'il ressent sur les bras, sur le dos et sur
les épaules ; mais les effets sont quelquefois plus
énergiques. Dans une réunion qui avait lieu chez nous, le 24
mars dernier, cet Esprit répondait aux questions par
l'entremise d'un autre médium. On parlait de sa puissance
physique ; tout à coup, comme pour en donner une preuve, il
saisit l'un des assistants par la jambe au moyen d'une
violente secousse, le souleva de sa chaise et le jeta tout
étourdi à l'autre bout de la chambre
63. Tu feras ce que tu voudras, ou mieux ce que tu pourras.
Je t'avertis qu'il est un peu médium. - R. Tant mieux ; j'ai
mon plan.
64. Que comptes-tu faire ? - R. Je vais d'abord étudier la
position ; voir de quels Esprits il est entouré, et s'il y a
moyen de faire quelque chose avec eux. Une fois chez lui, je
m'annoncerai, comme je l'ai fait chez toi ; l'on
m'interpellera ; je répondrai : « C'est moi, Pierre Le
Flamand, messager en Esprit, qui vient se mettre à votre
service et qui, par la même occasion, désirerait vous
obliger. Il a entendu dire que vous étiez dans de certaines
espérances qui vous tournent la tête et vous font déjà
tourner le dos à vos amis ; je crois devoir, dans votre
intérêt, vous avertir combien vos idées sont loin de
profiter à votre bonheur futur. Foi de Leflamand, je puis
vous attester que je viens vous voir dans de bonnes
intentions. Craignez la colère des Esprits, et plus encore
celle de Dieu, et croyez aux paroles de votre serviteur qui
peut vous affirmer que sa mission est toute pour le bien. (Sic.)
Si l'on me renvoie, je reviendrai trois fois, et puis je
verrai ce que j'aurai à faire. C'est-il cela ?
65. Très-bien, mon ami, mais n'en dis ni plus ni moins. - R.
Mot à mot.
66. Mais si l'on te demande qui t'a chargé de cette mission,
que répondras-tu ? - R. Des Esprits supérieurs. Je puis,
pour le bien, ne pas dire tout à fait la vérité.
67. Tu te trompes ; du moment qu'on agit pour le bien, c'est
toujours par l'inspiration des bons Esprits ; ainsi ta
conscience peut être en repos, car les mauvais Esprits ne
poussent jamais à faire de bonnes choses. - R. C'est
entendu.
68. Je te remercie et te félicite de tes bonnes
dispositions. Quand veux-tu que je t'appelle pour que tu me
fasses connaître le résultat de la mission ? - R. Je
t'avertirai.
(La suite au
prochain numéro.)
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